vendredi 2 mai 2014

Orange de gris

   

Orange de gris



"Orange pour vous donner envie de croquer le soleil".
Je dois dire que je n'ai jamais compris cette phrase, les publicitaires sont parfois difficiles à suivre. Ce sont les poètes de notre époque, incompris parfois.  Peut-être que dans quelques années un professeur de littérature à la ramasse criera au génie mais pour le moment tout ce que cette phrase m'évoque c'est de la colère.
Cela me gâche la vue, moi qui m'étais porté volontaire pour les travaux de voiries dans le comté d'Orange - D’où le panneau, faire une publicité pour son propre comté dans ce comté ça n'a pas de sens! -
En prison le seul moment où vous pouvez voir l'extérieur de ces immenses murs de béton gris c'est soit d'en sortir - après avoir purger sa peine ou réussir à s'en évader, vous avez le choix - ou de participer aux travaux d’intérêts généraux.
Le gris devient rapidement déprimant, accentuant ce sentiment de claustrophobie qui vous gagne au fil des jours. Si nos tenues n'étaient pas orange, je jurerais que mes yeux ne voient plus de couleurs. Le comble pour un peintre! Vous imaginez ? C'est ce que j'étais avant d’être incarcéré ici, avant de me faire chopper par la Police à passer au feu orange sans permis avec de la cocaïne dans la boîte à gants.
Je me sens comme Ray Charles a qui on parlerait de couleur musicale.

De temps à autre, à l'occasion d'une bagarre générale, les couleurs reviennent dans la prison.
D'abord un peu de rouge vermillon vient amener un peu de gaieté entre ces murs. Certains gars en sont euphoriques, ça crie partout, ça tape les barreaux, pour peu on se croirait derrière les grilles d'un zoo à l'heure du petit déjeuner.
Les gardiens affolés séparent les prisonniers ou viennent finir le travail, et à ce moment-là, la joie dans les cœurs revient.
Je vois briller l'humanité dans les yeux de mes codétenus, quand l’infirmière pointe le bout de son nez accompagnée de deux grands brancardiers. Avec sa blouse blanche et ses longs cheveux blonds ondulant sur ses épaules c'est un ange venu en enfer racheter nos pauvres âmes.

Étant considéré comme toxicomane, on m'a interdit d'avoir de la peinture, les gardiens se figuraient que j'étais capable d'en ingérer pour "triper" avec.
J'en suis réduit à peindre avec mes excréments et mon propre sang.
Autant vous dire que j'aime mieux faire comme certains détenus qui parfois pour s'attirer les faveurs de la belle infirmière n'hésitent pas à se refaire le portrait en body painting, un autoportrait avec le mur ou la cuvette en acier. Un peu d’élan et un grand coup en avant.
Alors je creuse joyeusement avec ma pioche dans cette terre, pour faire mon trou, sous le ciel bleu, priant chaque jour pour qu'il ne pleuve pas et qu'il ne fasse pas gris.

samedi 5 avril 2014

Déséquilibré


Déséquilibré



Un pousseur fou sévissait dans le métro de la capitale. Je n'invente rien, ça faisait la une, t'avais qu'à lire les journaux si tu ne me crois pas. L'opinion publique était inquiète, elle l'est toujours... quoi qu'il arrive. On est comme ça nous, les français.

 Les rumeurs sur l'identité ou les motivations du criminel en question allaient bon train si je puis dire sans mauvais jeu de mots.  J'entendais certains évoquer de nombreuses hypothèses, du clochard "fou" à l'employé syndicaliste "fou" en mal de mouvement social. Autant de raisons différentes qui se regroupaient sous une seule idée : le criminel était forcément "fou". Tout le monde était d'accord sur ce point et tous étaient proches de la vérité.  Les crimes n'étaient pas réguliers en fréquence, on pouvait passer des mois sans en constater un.  Cela trouvait son explication dans le fait que notre pousseur "fou" en était bien un. Habitué des séjours psychiatriques, il rentrait et sortait de l'hôpital comme si c'était chez lui et dans ce sens c'était presque devenu le cas.


 Sans un sou, il déambulait dans les couloirs du métro. On ne peut pas dire que la sécurité l'empêchait de franchir les grilles. Son petit plaisir était de marcher à cloche-pied en sifflotant jusqu'aux escaliers. Une fois arrivé en haut, il posait ses fesses sur la rambarde et se laissait glisser sur celle-ci jusqu'en bas. Il n'aimait pas les touristes ni les personnes âgées, qui se pressaient devant les portes en bouchant la sortie des passagers mais ce qu'il détestait encore plus c'était les jeunes cadres dynamiques en costard qui marchaient le long du rebord, téléphone collé à l'oreille. La manœuvre était facile il suffisait d'une légère impulsion du doigt ou de simuler un étirement et le cadavre grillait déjà sur les voies.  Il adorait faire ça, ça lui rappelait le jeu de son enfance du "c'est toi le loup". En bon mauvais perdant, il faisait en sorte de gagner à tous les coups sans possibilité de revanche.


 Un jour, à l'entrée de la station du métro, il croisa une femme et son jeune fils, âgé de 8 ans, l'âge parfait pour un compagnon de jeu pensa-t-il.  Notre déséquilibré, se plaça derrière le petit garçon qui lui sourit et lui fit signe de la main innocemment en le voyant.  Il interpréta cela comme une invitation à participer au jeu.  La mère remarqua que les lacets de son enfant étaient défaits. Elle le somma de les rattacher comme elle lui avait montré. Le petit secouait la tête d'un air désapprobateur. Elle lui dit qu'il risquait de tomber et de se faire mal.  Une voix féminine enregistrée annonça que le train était à l'approche dans le haut-parleur. Le décompte du départ était lancé.


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 Le fou recula d'un pas pour prendre son élan alors que le petit garçon se baissait, résigné à obéir à sa mère.


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 Ce qu'il ignorait à cet instant précis c'est qu'un autre jeu allait commencer dont il ne connaissait pas les règles, un jeu qui s'appelle "saute du-con". On pouvait voir les phares du train éclairer la voie.


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 Quand il arriva à hauteur du petit garçon il comprit qu'il ne pouvait pas le faire et eu tout juste le temps de s'arrêter ce qui le déséquilibra légèrement.


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 Derrière lui, un attroupement de touristes japonais s'était rué sur le bord du quai. L'enfant encore accroupi avait du mal à faire de belles boucles, elles finissaient toujours par se défaire.


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 Le déséquilibré se retourna pour faire signe aux asiatiques de ne pas pousser, mais il était trop tard, la barrière de la langue n'avait pu empêcher la bousculade. Ses jambes tapèrent contre l'enfant baissé et le firent basculer par dessus la ligne jaune.


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mercredi 5 mars 2014

Fils de pute




Fils de pute


Ce n'était pas son premier client ce soir là quand quelqu'un vint frapper à la porte d'une main lourde. « Encore un camionneur. J'espère seulement que  celui-là ne sent pas le gazole ou le bestiau » se dit- elle. En une fraction de seconde, elle écrasa sa cigarette, remit du rouge à lèvres en s'aidant d'un miroir à main, réajusta son corsage puis s’éclaircit la voix. Elle alla chercher sa plus sensuelle intonation au très profond de sa gorge. Hélas, les années de tabagisme, pour ne citer que ça, avaient endommagées considérablement sa trachée. De sa plus belle voix, elle s'écria « entrez ! » La porte s'ouvrit, la silhouette d'un homme se dessina dans la lueur qui provenait de l'extérieur. Elle l'invita à s’asseoir d'un geste de la main. A sa grande surprise il sentait plutôt bon et semblait rasé de près. Sa façon de se tortiller sur la chaise laissait deviner qu'il cachait quelque chose derrière son dos. Prudente, elle se saisit discrètement du revolver dissimulé en haut de ses bas résilles.
  
Le sourire gêné qu'arborait le jeune homme n'avait, à défaut de lui plaire, rien pour la rassurer. Elle décida d'engager la conversation avec la fameuse formule d'usage dans la profession : « Qu'est ce que tu aime- rais mon mignon ? » Le silence qui s'en suivit en disait long sur les intentions du client présumé. Elle prit soin d'ajouter : « il faut payer d'avance » d'une voix aux accents râpeux. L'atmosphère malsaine qui régnait dans la pièce lui fit l'effet d'une ponction pulmonaire – la quatrième ce mois-ci. Dans le genre malsain, elle en connaissait un rayon. Durant sa carrière, elle avait eu affaire à d'innombrables fétichistes en tout genre. Des pieds aux narines en passant par ceux qui aiment vous appeler « Maman » en portant des couches. Elle était habituée à tout type de clientèle, du prestigieux président du FMI aux derniers consanguins du coin. Cependant ce soir, elle le sentait quelque chose clochait. 

Elle lui proposa de le débarrasser pour qu'il se sente plus à l'aise. C'est alors qu'il déposa son portefeuille grand ouvert sur la table où figurait une vieille photo de famille. Au moment où il sortit ce qu'il cachait derrière son dos elle pressa la détente de son revolver en hurlant: « fils de pute ! » Le coup de feu résonnait encore dans la caravane quand elle s'aperçut qu'il ne cachait rien d'autre qu'un joli bouquet. Dans la mare de sang qui ne cessait de croître, elle vit la petite carte qui accompagnait les fleurs. Il y avait inscrit : « Pour maman, je te retrouve enfin. »