vendredi 1 août 2014

Le goût de l'éffort

 

Le goût de l'effort


La chaussette droite puis la chaussette gauche, une gorgée d'eau minérale et l'échauffement peut commencer. Toujours bien s'étirer avant et après chaque entraînement, il n'y a rien de plus important qu'une séance d'étirements. Je fais tourner ma tête sur l'axe de mon cou lentement, puis tour à tour mes épaules et mes bras de la même façon, dans un sens puis l'autre. Ensuite je m'occupe de mes jambes, cambre le dos jusqu'à toucher mes pieds avec mes mains. A travers mes écouteurs, je peux entendre les petits craquements d'os provenant d'à peu prés toutes les parties de mon corps.
"Eye of the tiger" dans les oreilles, je suis motivé à bloc. Une serviette éponge, une petite bouteille d'eau et une banane (le fruit le plus protéiné) sont disposées rituellement à côté du tapis de sol sur lequel je suis assis. Tout les éléments sont réunis pour réussir aujourd'hui.

"Allez David, c'est le grand jour. J'ai un mental d'acier."

Pour préparer mes abdos et mes autres muscles à la position que je vais devoir garder pour ma performance, j'enchaîne quelques séries de crunch au sol. Cela fait déjà un bon petit moment que je m'entraîne... Ça n'a pas été facile, j'ai donné, j'ai sué, j'ai même failli renoncer plus d'une fois.
Bien sûr, j'aurais pu faire comme les autres, avoir recours aux drogues ou à je ne sais quelle opération. Mais j'ai toujours su ô combien il était primordial d'avoir un esprit sain dans un corps sain.

"Le grand secret de la réussite, c'est vous."

C'est ce qui est écrit en légende du poster de Schwarzy - le représentant tous muscles bandés et huilés en me pointant du doigt - accroché à la porte. A jeun, mes muscles sont plus dessinés que jamais, comme sculptés dans la chair. Vous ne pouvez pas savoir à quel point j'aime cette sensation.

"Allez p'tit gars, tu peux le faire parce que tu veux le faire! Je crois en toi David!"

Parfois, j'ai l'impression d'entendre Schwarzy m'encourager. Dans le miroir fixé au plafond je me fais un clin d’œil après m'être longtemps défié du regard, voir qui cille en premier, moi ou mon reflet.

"La performance est un combat contre soi-même."

Voila le genre d'adage qui me booste dans l'effort et qui me revient en tête comme une compilation que j'aurais fait sur une cassette audio. Je ne me rappelle plus vraiment si elle est tirée de la page facebook de "Super physique" ou si c'est une citation de l'autobiographie de ce cher Arnold.
Assis sur le dos, j'enfile le coussin pneumatique de voyage en forme de croissant autour de mon cou - pour éviter de me briser les cervicales - et envoie en arrière mes jambes. Je prends une profonde respiration puis une grande impulsion avec mes pieds et me balance d'avant en arrière comme le cheval à bascule en bois que j'avais enfant dans ma chambre.

"David, Fixe toi un objectif à atteindre et fais tout pour y arriver" me disait ma mère.

J'imagine qu'elle n'avait pas ce genre de projet en tête à l'époque pour le petit garçon obèse et introverti que j'étais.
Les veines saillantes qui relient mes muscles des trapèzes au court fléchisseur du petit orteil en passant par le bulbocavernosus - en des termes moins barbares il s'agit du muscle qui permet l'érection - sont à deux doigts d'exploser. Mon pénis qui n'en est pas moins constitué de muscles nécessite le même soin que les autres, je dois le travailler, le façonner.

"JUST DO IT"

Le slogan de la pub pour Nike, résonne de la télé fixée au mur, que j'ai incliné dans ma direction.
La transpiration graisse les rouages, joue le rôle de lubrifiant pour la machine que je suis. Cette machine à succions autonome.
Maintenant, mon pénis est turgescent, pointé droit vers ma bouche que j'ouvre grande pour l’accueillir. Je tends la langue en guise de tapis rouge. Là-dedans ça se passe comme dans une station de lavage pour voiture. D'abord on rince, ensuite vient la mousse puis on frotte et rince à nouveau.

"Encore un effort David, pousse jusqu'à la rupture musculaire."

J'y suis enfin arrivé! Pris par l'enthousiasme, j'accélère le rythme, par de petites contorsions vives du cou, je sens bientôt la peau douce de mon gland caresser mes dents de sagesse. J'essaie de toucher ma glotte quand quelque choses me tire sur le ventre, comme un spasme ou plutôt une crampe abdominale, oui c'est une crampe, la plus violente que je n'ai jamais eu.
Dans l'élan et la surprise j'ai éjaculé dans ma propre bouche, et manqué de m'étouffer avec un réflexe de déglutition. La douleur devient insupportable, j'ai failli m'en mordre la bite, je parviens tout juste à la retirer en secouant la tête dans tous les sens comme un chien qui se mord la queue. Je reprends ma respiration mais réalise qu'il est trop tard, mon ventre se gonfle de liquide, ma peau devient rougeâtre, mon cœur s'emballe, mes sens se troublent, je perds connaissance.

vendredi 4 juillet 2014

L'enfer Vert



L'enfer vert

 
Quentin et moi avions toujours eu cette envie, comme beaucoup de parisiens, de partir vivre en « province », de quitter la métropole. Ras-le-bol de la capitale, de son rythme infernal, le fameux métro-boulot-dodo. Depuis maintenant trop longtemps nous chérissions ce rêve de rats des villes qui se fait souris des champs, le besoin du grand bol d'air frais. La démarche nous le savions, n'était pas si simple, nombre d'exemples fleurissaient autour de nous de citadins pour qui le rêve avait tourné au cauchemar, le calme tant recherché s'était mué en ennui quasi mortel. Tout ceci n'avait pourtant pas suffit à nous décourager, un jeune couple en quête pas seulement d'une meilleure qualité de vie mais d'un nouveau mode de vie. Avec la crise, à Paris les loyers ne cessaient d'augmenter. Avec le prix de la nourriture, manger 5 fruits et légumes par jour revenait pratiquement à une opération boursière. La pauvreté et la pollution. En fin de journée, il vous suffisait de vous moucher pour constater dans votre morve à quel point vous étiez concernés par le problème. Sans parler des allergies dues aux particules fines dans l'air qui font enfler vos yeux et donnent l'impression que vous avez des orgelets. C'est pour cela que Quentin, mettait un masque quand il se rendait à son travail en vélo. 

Il était consultant fairtrade marketing en free-lance-pierre. Hormis qu'il était mal payé, je ne pourrais pas bien vous dire ce qu'il faisait. Il vous expliquerait sûrement mieux que moi. Je sais juste qu'il venait d'en finir avec le remboursement de son prêt étudiant pour ses 5 ans d'école de commerce. Je me suis toujours demandée ce qui lui avait donné l'envie d'une reconversion dans l'agriculture bio. Peut être que c’était l'effet greenwashing qui était tendance dans la communication, peut-être même une publicité pour tropicana allez savoir. Plus sérieusement, je pense qu'il est devenu un peu survivaliste avec le temps. Je me rappelle d'un soir avec un couple d'amis, David et Marie, où nous refaisions le monde autour d'une table. Quentin avait évoqué sa prise de conscience récente quant au danger que représente les industries agroalimentaires et avait même cité en exemple les crises de la vache folle de 1996 et la grippe aviaire de 2004. Cela m'avait surprise de sa part, surtout quand on sait qu'il aime rigoler de mon végétalisme ou du moins des raisons qui m'y ont conduit. Je ne suis pas devenue végétalienne progressive- ment, comme beaucoup qui passent souvent par la case végétarienne avant. Non, moi, j'ai changé mes habitudes alimentaires suite à un traumatisme. Cela remonte à mon adolescence, ma grand mère avait un petit poulailler et j'étais chargée de collecter les œufs dans un petit panier en osier pour le déjeuner. Après les avoir ramenés à ma grand mère, celle-ci m'avait demandé de faire chauffer la poêle et d'ensuite les casser pour préparer des œufs brouillés. Quand j'avais déversé le deuxième œuf dans la poêle, j'avais entendu un petit crépitement que je pensais sur le coup attribué au feu, avant de voir soudain la matière changer d'état de liquide à solide, et sa couleur passer du jaune au rose. J'avais réalisé à ce moment là que j'étais en train de cuire vivant un œuf fécondé, un poussin mort né. 

Pour Quentin c'était différent, il n'avait pas vrai- ment de restrictions alimentaires comme je pouvais en avoir, c'est juste qu'il n'était pas déjà un grand amateur de viande alors s'en passer ne représentait pas pour lui une privation. A mon tour de le taquiner. Et puis Quentin en vrai parisien, les seuls animaux qu'il n'avait jamais vu était au Zoo de Vincennes. 

Avant notre grand exode, j'avais un poste de conseillère en assurance dans une banque. Le contexte propre à ma profession, accompagné des suppressions d’emplois et de fortes tensions avec la clientèle m'ont poussée à reconsidérer mon avenir. Pour être tout à fait franche, j’étais dégoûtée des méthodes et du peu d’éthique dans le domaine bancaire. Certains jours, il m'arrivait même de me demander si je n’étais pas assistante sociale ou contrôleuse fiscale pour vous dire à quel point tout cela me déroutait. Ça faisait longtemps que l'on planifiait notre nouvelle vie, sortir du système, être le moins possible dépendant de celui-ci. Nous rêvions de grand espace et de vaches, de chèvres et de poules même! Jusqu'alors nous survivions dans un 40m² avec Betsy notre carlin. Dans notre intérieur, tout était pensé pour gagner de la place, même le chien était ergonomique, adapté à son environnement tel un pois- son qui grandit dans un aquarium ou un homme trop grand devant courbé le dos continuellement pour ne pas toucher le plafond.


Nous l'avons longtemps attendu ce moment où l'on ferme la grande porte du camion de déménagement pour prendre la route de notre paradis sauvage. Nous avons quittés les ruelles pavées du 18ème arrondissement pour un petit hameau auvergnat entouré de prés nommé Bertignat. Autosuffisance et respect de la nature étaient les maîtres mots de notre nouvelle vie. Notre chez nous ne ressemble pas à certaines maisons biologiques qui tiennent plus de la hutte de hobbit ou du conteneur maritime. De l'extérieur n'importe qui penserait qu'il s'agit d'une habitation comme on en voit partout. Excepté que notre bâtisse est faite de briques en terre cuite. Nous avions envisagés un temps la paille comme matière première mais Quentin ne voulait pas. Son principal argument s’appuyait sur le conte pour enfants des 3 petits cochons. Pour lui le loup étant bien sûr une métaphore significative à notre époque d'un sinistre naturel comme une tornade ou un banquier de Wall Street cupide avec ses prêts à taux variable. Notre maison est donc faite de murs en terre cuite, d'une toiture végétalisée, équipée d'une éolienne et de volets photovoltaïques pour l'alimentation électrique, pourvue d'un système de récupération de l'eau de pluie et d'un réseau d’épuration par lagunage.
La seule chose que nous avons gardé de notre ancienne vie « citadine », c'est une connexion internet. Bien que nous ne soyons pas gênés par l'absence de télévision ou de téléphone, internet reste indispensable pour avoir des nouvelles du monde extérieur et surtout rester en contact avec nos familles. Une deuxième chose que nous avons conservé plus par sécurité que par choix, c'est notre compte en banque, même s'il fut en majeure partie vidé de nos économies pour les frais de construction. Étant donné que nous avons tous deux décidé de consacrer notre temps à l'entretien de la maison, du potager et à éventuellement revendre le surplus de récolte au bord de la route. Il ne nous est donc pas d'une grande utilité quotidienne mais nous le conservons tout de même, sait on jamais en cas de coup dur.


Les journées sont belles et remplies de bonheur. L’après-midi je redécouvre les plaisirs de la sieste tandis que Quentin lui s'attelle à l'écriture de son premier roman. Nous menons une vie de jeunes retraités vivant d'amour, de fruits et légumes bio et d'eau fraîche. Tout comme cette américaine, dont j'ai adoré les vidéos pleines de spiritualité sur Youtube. Cette dame, Navenna Shine a fait un jeûne de 6 mois, en se nourrissant exclusivement de lumière et d'eau. Je pourrais en faire autant si j'échangeais l'eau par du Coca-Cola. Voilà une autre chose de mon ancienne vie dont je ne peux me séparer. 


Quentin se moque tout le temps de moi, du parallèle qu'il fait entre mes opinions politiques gauchistes et mon goût pour la boisson du père noël. Symbole du consumérisme américain, elle n'a que la couleur rouge de son logo comme point commun avec le communisme que je soutiens. D'ailleurs, Quentin passe dans le salon en sifflotant la mélodie de l'Internationale alors que je porte mon verre de soda à mes lèvres. Je ne compte plus les fois où il me bas- sine avec ses tests de dents dissoutes en 41 jours et d'ongles en 4 jours alors que l'on peut les retrouver en conservation parfaite sur des cadavres de plus de 20 000 ans. Il ne manque pas d'arguments et je suis suis étonnée qu'il ne m'ait pas encore dit : « Plus tu en bois plus tu en veux, c'est une drogue. » Voilà un autre exemple de maux qu'il attribue au soda. Il l'explique par la présence de caféine qui, associée à une forte quantité de sucre, provoque des rush d'in- suline, le tout doublant la production de dopamine, effet commun à la prise d’héroïne. Les fortes doses de sucres, associées à l'acide phosphorique, augmentent aussi l'excrétion de calcium dans l'urine, principal constituant minéral des os qui à terme cause l'ostéoporose. Ce qu'il traduit pour être sûr que le message passe : « En gros ma chérie, tu vas pisser tes propres os. » Avant il m'aurait conseillé de boire au moins du Light ou du Zéro pour m'éviter l’obésité et le diabète mais plus depuis qu'il a lu sur je ne sais quel site internet que ceux-ci contenaient de l'aspartame et de l’acésulfame K. Selon lui et certaines études scientifiques, ce produit serait à l'origine de nombreuses maladies comme Alzheimer pour ne citer qu'elle.
Quentin repasse un verre d'eau à la main en énonçant dans le vent « cancer », « diabète », « ostéoporose », « lupus », « lymphomes », « Alzheimer », puis s'enferme dans son bureau pour écrire. 

C'est le premier écrivain qui ne boit pas que je connaisse. Depuis quelques temps déjà, il bosse sur une histoire de science-fiction. Il ne veut pas m'en parler pour me laisser la surprise pendant la correction. Quentin est incapable d'écrire sans faire de fautes à tel point que je me demande encore comment il a pu travailler dans la communication. Je vois bien qu'il meurt d'envie de me le raconter avec sa façon qu'il a de me demander de lui prêter mon ordinateur pour faire des recherches sur les effets des armes bactériologiques et le virus de l'Ébola. Sur ces sujets là, il le sait, je n'ai pas de connaissances, il ne fait ça que pour que je le supplie de me raconter sauf que c'est toujours lui qui craque le premier. Mon verre de coca fini, je m’assoupis bercée par les cliquetis que font les touches du clavier de sa vieille machine à écrire – que je lui ai offerte à Noël dernier et dont il ne s'est plus séparé depuis – dans la pièce d'à coté, les cigales mécaniques.
 

Au réveil de ma sieste, je décide de flâner dans le jardin voir si quelque chose vient à pousser. Sur une branche d'un pommier, je cueille un fruit, le premier depuis qu'on les a plantés. Je suis d'autant plus surprise de ma trouvaille que ce n'est pas la saison. En plein mois d'août, on n'est pas censé en trouver comme il n'est pas censé faire moins de 15 degrés à cette période de l'année. Le temps devient vraiment fou, les saisons se chamboulent. Sous le coup de l'excitation, je rentre annoncer la nouvelle à Quentin. En franchissant le seuil de porte du bureau je lui lance un « devine ce que j'ai trouvé ! » Il me regarde en silence, l'esprit absorbé par les mots qui s'inscrivent sur sa feuille de papier. Je quitte la pièce et c'est là qu'il reprend conscience et me demande de répéter ce que je viens de lui dire. « J'ai trouvé une pomme, tout à l'heure, c'est notre premier fruit ! Goûte-le ! » Il tend la main pour recevoir ce que je lui donne avant de lever les yeux et de me demander si je ne la veux pas. « Non merci, l'acidité me donne faim après, mais vas y, prends » lui fais-je en lui caressant les cheveux. En l'essuyant sur son t-shirt, il sourit puis me dit merci. Il croque dedans en retournant devant l'écran.

Le jour commence à tomber, de plus en plus tôt, et je me mets à cuisiner pour le dîner. J’appelle Quentin pour qu'il arrête d’écrire et lui demande de mettre la table comme le faisait sa mère avant moi. Nous nous asseyons l'un en face de l'autre sur la terrasse. C'est le moment de la journée que je préfère, nous sommes seuls, pas de questions sur son livre – c'est une règle que j'ai imposé –  ni de taches à faire, rien que notre discussion, le bonheur dans des mots échangés autour d'un bon repas. Ce soir je lui ai cuisiné des lasagnes – végétarienne bien sûr – son plat préféré. Le bonheur est de courte durée, troublé par les problèmes digestifs de Quentin. Il a enlevé subitement la fourchette de sa bouche, quitté la table en urgence pour les toilettes. 


Au bout d'un quart d'heure, après avoir débarrassé la table, je tape à la porte pour m'assurer qu'il n'ait besoin de rien : « Tout va bien chéri ? » Un instant passe sans qu'il me réponde où je l'entends serrer les dents et pousser, gémir silencieusement. « Oui merci, ça va aller » fait-il à travers la porte. Je sens qu'il ne veut pas m’inquiéter mais en agissant de la sorte c'est ce qu'il provoque. Depuis que je le connais, il a toujours eu des problèmes de diarrhée qu'il impute au stress ou à diverses raisons contextuelles sans ja- mais se décider à consulter un spécialiste. Il n'a pas confiance en la médecine moderne et en l'industrie pharmaceutique. Il est partisan de la phytothérapie, des soins prodigués à base de plantes médicinales. Mais je pense sincèrement qu'il a peur de ce qu'on pourrait lui découvrir.
C'est inscrit dans son ADN, son père avait frôlé la mort à cause de la maladie de Crohn quand il était adolescent. Bien que Quentin sache qu'elle n'est pas héréditaire, il a de fortes raisons de penser qu'il y a un terrain propice dans la famille. Son père ne m'en a jamais parlé, c'est un homme peu bavard contrairement à sa mère, naturellement, elle, m'a tout raconté. 


Il venait de fêter ses 17 ans quand la maladie lui a été diagnostiqué. Les adolescents sont généralement préoccupés par leurs amourettes et le stress du bac, pas par la peur de mourir. Souvent à cet âge, on attrape de l'acné, parfois de l’herpès au pire la mononucléose mais rarement la maladie de Crohn. Au début sa perte de poids était passée un peu inaperçue, c'était un garçon très grand, sa maigreur n'avait rien d'alarmant mais quand il a commencé à avoir des diarrhées sanguinolentes, l’inquiétude a pris le pas. Le docteur à l'époque lui avait pronostiqué pas plus d'un an à vivre. Il faut avoir à l'esprit que dans les années 80 cette maladie était réputée incurable, il n'existait pas de traitement efficace comme on en a actuellement. La seule façon de vaincre la maladie consistait en un régime à base de féculents, de steak et de chance/prières. Après des mois et des mois de combat contre la maladie, il a miraculeusement fini par guérir sans plus d’explications médicales. La maladie était partie comme elle était venue, sans prévenir.

Après une longue demi-heure la crise est enfin passée. En sortant des toilettes avec sa longue barbe et cette expression de douleur qui marque son visage je jurerais voir un otage libéré après des années de captivité. J'ai envie de lui faire la vanne mais je m’abstiens il semble encore souffrant, la main posée sur son ventre maltraité par les spasmes abdominaux. Je lui tend un verre rempli de soda et lui dis : « Le coca c'est bon pour les maux de ventre en particulier la diarrhée. » Il me répond d'un mouvement de tête et me chuchote qu'il préférerait une tisane avec des feuilles de verveine et des racines de gentiane. Il s'allonge sur le canapé, les mains croisées sur le ventre. Je lui apporte son infusion. « Je pense que j'ai du mal digérer quelque chose, peut-être que la pomme n'était pas assez mûre » me dit- il. Dans un haussement d'épaules accompagné d'une moue perplexe je confirme son idée par un :
« peut-être mon chéri. »

Ce matin il va beaucoup mieux, la crise semble finie en revanche c'est moi qui ai mal au ventre maintenant. Quentin ne manque pas cette occasion pour me rappeler que je bois trop de coca et me signale que ce ne doit pas être bon à prendre au petit déjeuner. Lui pense que c'est le gaz carbonique dans les sodas : « tu sais le gaz ajouté, c'est pas très naturel. » Et moi je lui répond que c'est seulement des règles douloureuses. Un peu agacée de bon matin par ses remarques, je conclus le débat par un rot. Hier soir semble déjà tellement loin pour lui, il en a même retrouvé son sens de l'humour. « Plus tu bois de coca, plus tu rotes, plus tu augmentes l'effet de serre et donc le réchauffement climatique ma chérie. » Je rigole de sa blague et je le regrette déjà, ça fait encore plus mal quand mes abdominaux se contractent. Pour faire passer la douleur qui tire sur mon ventre je m'allonge dans le lit avec une bouillotte posée dessus et me rendors. 


Quand je me réveille la cheminée a été allumée – il fait de plus en plus froid –  et la porte du bureau fermé, Quentin est en train d'écrire. Soudain la poignée s'affole, je le vois qui sort de là le visage crispé et le corps tordu par la douleur, c'est une nouvelle crise plus forte que la précédente si j'en crois le temps qu'il reste enfermé dans les toilettes. J’entends les légers gémissements qu'il fait alternativement en vomissant ou en déféquant.  La tête appuyée contre la porte, je demande « Encore une crise ? » Je lui pose la question bien que j'ai déjà une idée précise de la réponse, c'est plus ma façon de lui prouver mon inquiétude. Quelques minutes passent et il quitte les toilettes pour se laver les mains dans la salle de bain. « Je ne sais pas ce qui m'arrive, j'ai dû attraper froid, ou alors c'est les lasagnes, je n'ai rien mangé d'autre... sauf la pomme du jardin mais bon je ne pense pas que ce soit ça, non ? » me fait-il en me regardant dans le reflet du miroir au dessus du lavabo. « Oui... peut-être que la crème fraîche n'était plus bonne » je lui répond en caressant son dos. Il s'observe dans le miroir, ouvre la bouche puis soulève son t-shirt avant d'ajouter : « J'ai le ventre gonflé on dirait pas ? Je sens des frissons, et j'ai des sensations bizarres dans l'anus, comme quand j'avais des vers étant gosse. » – Dégueulasse. » Les mots sont sortis tout seuls de ma bouche. La porte du bureau se referme et la machine à écrire reprend son rythme de plus belle.

En ce moment, il travaille sur un roman qui parle de l'histoire d'une petite ville vieillissante au taux de chômage record qui voit une firme pétrochimique s'implanter dans la région et relancer l'écono- mie. Pour montrer ses bonnes intentions, l'entreprise bâtit un orphelinat. Or, dans cette petite ville il n'y a pas d'orphelins... Jusqu'au jour où les autorités sanitaires alertent les habitants que l'air aurait été empoisonné par des éco-terroristes. Petropharma qui se veut protecteur des habitants, la plupart étant ses ouvriers, fait une distribution massive de médicaments. Les quelques habitants qui refusent de se soumettre au traitement sont soudain jugés malades par les autorités et sont transportés sans qu'ils le de- mandent en soin intensif. Ceux qui ont pris les médicaments eux commencent à avoir des effets secondaires, les autorités leur assurant que ce n'est rien de grave. En réalité l'air n'était pas empoisonné, pas plus qu'il n'y avait de terroristes, c'est un lobby
pharmaceutique qui a orchestré cette mise en scène cataclysmique pour tester de nouveaux médicaments. Je n'ai encore rien lu que je suis déjà au courant de toute l'histoire. Quentin est un de ces écrivains qui ont besoin de partager, surtout ses questionnements pendant l'élaboration de ses récits. Quand on écrit il y a toujours une part d'autobiographie. On s'inspire toujours de choses que l'on connaît, de ce qui nous arrive, de tous ces détails qui font le réalisme. Son quotidien est son stimulant et ses problèmes digestifs semblent tomber à point nommé. Je me demande même si ce ne sont pas des douleurs psycho-somatiques. Dans son histoire les cobayes ont les mêmes symptômes que lui.
Lorsque que j'entre dans son bureau pour lui apporter une infusion, il est en train de faire son propre diagnostic en s'aidant d'internet. Avec le temps il est devenu presque aussi compétent qu'un médecin généraliste, du moins c'est ce qu'il croit en consultant ses sites médicaux. En m'entendant derrière lui, il se retourne sur son fauteuil et me tend mon ordinateur portable qu'il a fini d'utiliser. « Est-ce-que tu te rappelles si tu avais lavé la pomme que tu as cueilli dans le jardin ?
–  Je ne me rappelle pas... Pourquoi ?
–  Parce que je pense que j'ai une bactérie ou un ver... Peut-être même un ver solitaire!

 –  Qu'est-ce-qui te fait penser que c'est ça ?
–  Je ne sais pas, il faudrait que je vérifie dans mes selles, à la prochaine crise, voir si elles n'ont pas la présence d'anneaux. En même temps, ça me paraîtrait bizarre vu que je ne mange pas de viande, les deux espèces qui peuvent toucher l'homme sont uniquement présentes dans le bœuf et le porc. J'ai lu quelque part que parfois les larves du Ténia peuvent migrer vers les muscles, le cerveau ou les yeux.
–  T'es sérieux là ?!

 –  Et si c'était un parasite, il y en a plein dans l'eau, avec toutes ces hormones, tous ces antibiotiques...
– Quentin, ça c'est dans l'eau des villes, la notre provient d'un forage. Arrête de regarder ces conneries sur internet et va voir un médecin. Il n'y a que lui qui pourrait répondre à tes questions. » 

Sur ce, je sors de la pièce agacée et m'installe dans le salon avec mon ordinateur.
 

En plein milieu d'un film, mon ordinateur portable s’arrête, batterie vide. L'appareil marche à l'énergie solaire comme beaucoup de choses ici. Le ciel étant couvert depuis hier, ça devait bien finir par arriver. J'ai regardé le site de météo France tout à l'heure qui annonçait des chutes de neige ce soir. C'est vraiment n'importe quoi cet été ! Finalement je décide d'utiliser le câble de secours pour brancher au secteur bien que ce ne soit pas sa fonction première. Il est déjà tard, je propose à Quentin de manger mais celui ci demeure imperturbable quand il écrit jusqu’à lui couper toute faim. Les placards de la cuisine sont presque vides, il va falloir aller au
bourg bientôt pour acheter de la farine, du beurre, du lait et sûrement du papier à écrire. Les seules choses que nous ne pouvons pas fabriquer parce qu’on ne fait pas pousser de céréales et que nous n'avons pas encore de vaches. Pour le coca, pas d'inquiétude ma réserve est encore bien fournie, 3 packs de 6 bouteilles de 2 litres. Après avoir nourri Betsy notre chienne, je me fais chauffer un reste de soupe au potiron et m'installe avec elle sous une couverture devant la cheminée. La température a encore baissé, bonne nouvelle le vent semble s’être arrêté, espérons juste qu'il ne va pas neiger. Peu à peu, je m'endors sur mon bouquin bercée par le crépitement des bûches consumées par les flammes.
 

En panique, j'ouvre les yeux, affolée par le hurlement qui m'a sorti de mon sommeil. Je me précipite vers les toilettes, d’où filtre du bas de porte la seule lueur dans la maison, suivant la direction des cris. Dans mon mouvement, j'ai fait tomber Betsy qui s'est mise à aboyer en réponse au bruit. J’entends des objets tomber sur le sol, peut-être quelqu'un qui se débat ou cherche quelque chose.  J’appelle Quentin en essayant de pousser pour ouvrir la porte mais quelqu'un s'appuie contre elle, des gémissements et des bruits sourds résonnent comme si on tapait sur les murs. L'absence de réponse de sa part me fait présager le pire. Peut-être sommes nous victimes d'un cambriolage. La fenêtre claque en se fermant et je sens d'un seul coup qu'il n'y a plus rien qui obstrue l'ouverture de la porte. Elle s'ouvre enfin, la lumière m'aveugle un instant et je découvre Quentin, les yeux figés par la peur à l'autre bout de l'étroite pièce. « Que s'est il passé ? » fais-je essoufflée par l'effort. « Il y avait un cousin géant, monstrueux ! » balbutie-t-il en cherchant du regard si l'insecte à bien disparu.

Au matin, la lumière crue qui me parvient d'entre les volets m'indique qu'il fait soit plein soleil soit il y a de la neige partout, visiblement les deux réponses sont valables. Je me tourne vers le côté du lit qu'occupe généralement Quentin et m’aperçoit tristement qu'il est vide. A présent me revient un vague souvenir de lui quittant le lit dans la nuit pour calmer une de ses fréquentes crises de diarrhée et de vomi. Je me lève, je me sers un verre de coca, le premier de la journée et contemple par la fenêtre le chemin désormais impraticable en vélo, tout juste à pied s'il n'y a pas de verglas. La pente ferait une parfaite piste de luge, et je regrette de ne pas avoir salé les alentours la veille. Il y a des initiatives qui nous viennent toujours trop tard, et qui de ce fait deviennent des choses que l'on aurait dû faire. J’entends les cliquetis de la machine à écrire de Quentin, lui qui ne semble pas concerné par cette idée. Pendant que la mousse du coca redescend et que les glaçons rafraîchissent le liquide –  toujours avec glaçons jamais sans –  je vais à la salle de bain. Au passage, je découvre à demi-surprise qu'une fois de plus la porte du bureau est fermée. Notre cabane ainsi plongée sous la neige me renvoie aux ambiances des célèbres romans de Stephen King, ce climat d'horreur qui annonce la folie, qui s'installe peu à peu avec les premières neiges. En réfléchissant bien j'y trouve même des similitudes entre
Quentin et Jack Torrance le père dans le roman « Shining », ils sont tous deux écrivains en devenir et coincés sous la neige au milieu de nulle part, heureusement mon homme n'est pas alcoolique lui.
 

En sortant de la salle d'eau, je toque à sa porte, il m'interroge d'un oui réflexe, à moitié dans ses pensées. Je demande :  « Ça va mieux chéri ? » Après quelques secondes de silence il me répond distrait : « Oui ne t'inquiète pas. » C'est le genre de réponse qui en dépit de son intention première provoque systématiquement l'effet inverse. Ou alors je deviens paranoïaque à force de rester enfermée à cause du froid, peut-être que je devrais aussi y aller doucement sur le coca et les romans. Me connecter sur internet pour parler à d'autres personnes, sociabiliser pourrait me faire du bien. Je m'installe avec mon verre devant mon ordinateur portable, appuie sur le bouton de démarrage mais rien ne marche. Il ne s'est pas rechargé depuis hier soir. Pourtant le câble était bien branché, je ne comprends pas. Je branche et débranche successivement ce fichu câble mais aucun voyant ne s'allume. Ma première pensée va vers cette fois où mon ordinateur ne voulait plus démarrer à cause d'une carte mère grillée. Je réessayerai plus tard, j'ai compris le message il vaut mieux te recoucher ma grande. Il y a des jours comme ça. 

Je change de position dans mon lit, sur le dos, sur le ventre, sur le côté, je ne parviens pas à me reposer, j'ai trop dormi et je m’ennuie à en pleurer. Un jour sans internet et on se sent vite coupé du monde, bien que dans le cas présent ce soit un choix de notre part.
Me voilà revenue dans le salon, a essayé de démarrer mon ordinateur. Au bout de quelques minutes je renonce. Pas d'internet pour moi aujourd’hui. La journée commence bien, rien à faire d'autre que de regarder les flocons tomber. J'essaie de lire, mais je suis trop énervée pour ça. Je me lève du canapé pour vérifier si les interrupteurs marchent, et c'est alors que je comprend que nous n'avons plus de courant. Si je n'avais pas autant la flemme aujourd’hui, j'irais vérifier l'armoire électrique au sous-sol. Quentin sort à ce moment là de son antre, le visage blême et creusé. Je lui fais part de ma constatation alors qu'il fonce une fois de plus jusqu'aux toilettes, faisant claquer la porte derrière lui. Habituellement, il n'aurait pas hésité à monter sur le toit pour déblayer la neige des plaques photovoltaïques mais en voyant sa mine cadavérique à demi-éclairée dans l'obscurité je garde ma suggestion pour moi. La lumière des toilettes qui est restée éclairée toute la nuit a peut-être épuisé les réserves dans les batteries de l'accumulateur. 


Une demi-heure plus tard, Quentin finit enfin par sortir. Il n'est pas du genre à se plaindre de la douleur, il a déjà eu des calculs rénaux sans même broncher mais là je sens qu'il est au plus mal, il me semble même l'avoir entendu pleurer à travers la porte. Derrière lui, il a oublié d'éteindre la lumière dans la nuit, l'interrupteur est encore sur « on », épuisant nos derniers watts et je découvre qu'il a aussi oublié de rabattre le couvercle. Je m'approche de la cuvette des toilettes sèches et découvre à l'intérieur de celle-ci la présence de vers et de sang dans le compost, comme dans un cercueil. Horrifiée de ce que je viens de voir je recule et me saisis de la pellette en inox. J'ai rarement vu quelque chose d'aussi dégoûtant. Pourtant je pensais avoir tout vu en feuilletant les dictionnaires médicaux comme le ferait un enfant ne sachant pas lire qui se contente de regarder les images. Avec la pellette je recouvre l’immondice de suie et des flocons de sciure mais chaque fois que je le fais, ils s’imprègnent de sang. Si je pouvais tirer la chasse pour avoir la certitude que tout ça est loin de moi je le ferais sans hésiter. A deux doigts de vomir dans l'évier, je parviens à me retenir en ouvrant la fenêtre au dessus de celui- ci. 


Après quelques instants, le temps de reprendre mes esprits je rejoins Quentin dans son bureau, la porte ouverte. Il me fait dos, assis dans son siège en tenant son ventre dans sa robe de chambre. 
« Quentin tu es sûr que tout va bien ?
–  Mais oui je t'ai dit! C'est juste une gastro.. Alors arrête de me demander ça toutes les cinq minutes, tu m'agaces ! » me répond-il toujours devant sa machine à écrire. « C'est que je m’inquiète... J'ai vu dans le trou des...
–  Oui je sais on dirait une putain de soupe de tomates et vermicelles.
–  Je pense que tu devrais vraiment aller voir le médecin. » C'est là qu'il se tourne face à moi. « Il faudrait peut-être que t'ais le permis de conduire pour cela ! » me crache-t-il au visage avec une haleine fétide, en partie due aux vomissements et au manque de sommeil.
« Je ne vois pas ce que ça changerait, on n'a plus de voiture je te le rappelle et les routes ne sont pas dégagées dans le coin ! » 

Excédée je claque la porte avant même qu'il n'ait pu répondre. Prise de remords comme à chaque fois qu'une dispute éclate entre nous, je n'aime pas cette situation c'est pour cela que je reviens pour m'excuser. Mettre son orgueil de côté dans un couple est primordial pour moi, je sais que cela peut passer pour une faiblesse mais je sais aussi qu'il n'est pas dans son état normal, que sa colère est mal dirigée, c'est la douleur qui transforme ses mots.
Je  frappe à la porte en l'appelant d'une voix hésitante d'abord puis voyant qu'il ne répond pas j'insiste, ça lui arrive parfois d’être tellement absorbé par son roman qu'il n'entend rien autour de lui. Finalement j'ouvre la porte, et je le trouve étendu sur le sol, face contre terre dans une marre de vomi ensanglanté, inconscient. Paniquée, j'essaie de le redresser tant bien que mal –  il fait presque deux fois mon poids –  pour le mettre sur le côté. Je n'aurais jamais un jour pensé que mes notions de secourisme me servirait surtout quand on sait qu'elles me viennent des séries hospitalière comme Grey's Anatomy et Urgences. Dans la précipitation, j’enlève sa chemise arrachant quelques boutons dans le mouvement. Son torse est couvert de pustules, d'éruptions cutanées purulentes. Je lui parle pour le rassurer, le garder conscient mais je ne suis pas sûre qu'il m'entende. J'essaie de lui faire ouvrir les yeux partiellement mais cela les fait rouler dans tous les sens. Ils sont injectés de sang. Comme un épileptique, ses muscles sont contractés, ses veines protubérantes, son corps secoué par des spasmes. Soudain je sens qu'il reprend une bribe de conscience, mais ne comprend pas ce qu'il me dit, articulant dans sa bave.


Pas de téléphone, pas d'internet, pas de voiture, seulement deux pauvres vélos, pas de voisins à moins de 5 kilomètres à la ronde, je dois le secourir. Sa vie en dépend. Je n'ai pas le choix, ni le temps de penser à ce que je fais, c'est l'instinct de survie, je l'enveloppe avec deux énormes couvertures de laine et le traîne jusque dehors laissant derrière notre passage des coulures de sang.  Je le recouvre d'une bâche sur laquelle j'envoie deux grosses pelletées de neige pour le recouvrir et cours à l'intérieur. Je rassemble rapidement quelques affaires, enfile un manteau et le maximum de vêtements, je mets les albums photos et son manuscrit dans un sac à dos. Je prend l'allume feu que j'asperge un peu partout dans le salon. C'est le choix le plus rapide et le plus difficile que je n'ai jamais eu à faire de toute ma vie, je le sais. En craquant l'allumette je renonce à notre rêve, il ne vaut pas la peine d’être vécu sans Quentin.
 

Les pompiers alertés par un automobiliste qui passait non loin de notre maison en flammes sont intervenus une demi-heure après. Rien n'a pu être sauvé, il ne reste que les murs porteurs et des cendres.  Quentin a été transporté à l’hôpital en urgence. Arrivé sur place, il avait perdu tellement de sang qu'ils ont dû le plonger dans un coma artificiel. Le médecin émet une grande réserve quant à ses chances de rémission en raison du choc septique qu'il a subi malgré les transfusions. Il m'informe qu'ils vont devoir prendre des mesures de sécurité sanitaires pour être sûr que je ne sois pas contaminée. Apparemment ils craignent que Quentin ait contracté une souche commune du virus de l'Ébola, c'est pour cela qu'ils ont décidé de faire chuter sa température, le virus provenant des pays centrafricains. Apeurée, je suis conduite dans la zone de quarantaine. Là, du personnel médical en combinaison me fait passer des tests sanguins.

Au bout de 8 heures d'attente insoutenables, le médecin en chef vient m'annoncer que mon mari est décédé suite à une hémorragie interne et externe probablement due à la qualité de l'eau du forage. Apparemment des cas similaires ont été recensés ces derniers jours dans la région. Les nappes phréatiques seraient contaminées par diverses industries et d'autant plus depuis l'autorisation d'extraire le gaz de schiste. Il ajoute qu'il n'aurait jamais cru dire cela un jour à un patient mais que le Coca m'a sûrement sauver la vie. En voyage, pour éviter d'attraper la tourista il est souvent conseillé de ne pas boire l'eau et de consommer du soda à la place comme je l'ai fait.

mardi 3 juin 2014

Dernière Volonté


Dernière volonté


J'ai les yeux bandés, mais je sais où je suis. Je suis enfermé dans le coffre d'une voiture.
Cela fait maintenant plus de deux heures qu'on roule, mes articulations me font mal et à chaque secousse due au relief de la route ma tête cogne partout.
Comment je suis arrivé là ? Je ne sais pas. A vrai dire je n'ai pas vu le coup venir j’étais de dos et il faisait nuit, je sortais du boulot et j'allais regagner ma voiture quand...
C'est ma copine qui va me tuer. "Mais où t'as passé la nuit ?! Encore dans une de ces boîtes de strip-tease avec tes connards de potes ?"
Soudain j’entends le volume de la musique augmenter, jusque là le bruit du moteur et des essieux couvrait le son de la radio.
Il me semble reconnaître cet air, on dirait "It's now or never" d'Elvis. C'est notre chanson, je sais que ça peut paraître ringard mais on a notre chanson.
Pour la première fois depuis ma séquestration je craque. Je pleure à la seule pensée de ne jamais la revoir, la femme de ma vie.
Le véhicule ralentit. Le chauffeur arrête le moteur et fait claquer la portière en sortant ce qui m'indique qu'il n'y a qu'une personne.
L'absence de bruit aux alentours elle m'indique que je suis dans le désert. Le métal brûlant de la carrosserie vient me le confirmer.
Le coffre s'ouvre, l'air frais me parvient et me fait l'effet d'une résurrection. Soudain je me sens tiré par le col et balancé à terre.
Mes mains sont liées à mes pieds de sorte que je ne peux me tenir debout.
Le sol est sableux je peux le sentir sur mon visage que je frotte par terre, tentant de retirer en vain le bandeau.
"Qu'est-ce-que vous attendez de moi ?
Putain mais répondez-moi..."
En me redressant je crie, je m’époumone puis plus rien. Le silence. Je tourne la tête dans tous les sens comme si je pouvais voir ce qui m'entoure.
Chercher une issue du regard.
J'essaie de reculer, dans le sens opposé à la voiture quand je sens remonter le long de ma nuque le canon froid d'un revolver.
Je lève la tête pour m’adresser à mon agresseur.
"Vous faites sûrement une erreur. Je suis quelqu'un de bien, je n'ai jamais fait de mal à qui que ce soit! Laissez-moi partir, je ne raconterai rien, je vous le promets".
A peine ai-je prononcé cette phrase, l'arme collée sur ma tempe, que le ressort du chien retentit.
Je le sais je vis mes derniers instants. J'inspire un grand coup puis après un court instant renifle nerveusement. Cette odeur...
L'horreur m’envahit subitement, j'ai peur que toutes mes craintes viennent à se réaliser. Ce parfum... Malheureusement j'en ai la certitude.
Je le reconnaîtrais entre mille, c'est le parfum de ma femme.
"Je vous donnerai tout ce que vous voulez, j'ai de l'argent mais je vous en supplie ne touchez pas à ma femme. Tuez-moi si ça vous chante mais ne lui faites rien."
C'est ce que je hurle en roulant sur moi-même, vautré dans la poussière. C'est trop tard, il appuie sur la détente.
Le déclic que fait la gâchette en tapant sur l'amorce sonne creux, il n'y a pas de balles dans le revolver.
Stupéfait, je n'ose rien dire. Je suis comme mort, et comme quelqu'un qui meurt je me suis chié dessus.
Mes muscles ont lâché sauf mon cœur qui continue à battre encore plus fort.
Il me contourne, s'agenouille devant moi et retire le bandeau de mes yeux.
Ébloui, la première chose que je distingue est le décolleté ravissant de ce que je pensais être un ravisseur.
A ce moment précis, je me demande si je suis mort, ce qui logiquement expliquerait le fait que je sois maintenant au paradis.
Au beau milieu du désert, sous le soleil couchant je retrouve ma femme dans une robe blanche éclatante, souriante les yeux pétillants de joie.
C'est alors qu'elle me demande de l'épouser, de la chérir et de la protéger quoi qu'il advienne jusqu’à ce que la mort nous sépare.