mercredi 5 décembre 2018

Seppucul

Seppucul


La première fois c'est toujours spécial.
 On a tous une première fois bien particulière à laquelle se rattache un souvenir, une odeur, un goût, un sensation. La première fois qu'on a fait du cheval, la première fois qu'on a mangé du gingembre, la première fois que votre père vous a touché la jambe pour remonter jusqu’à l'aine.
 Ma première fois sera ma dernière et je ne serai plus là pour m'en souvenir, cela dure depuis déjà trop longtemps. Chaque jour que je vis est un jour de moins, un
 jour de plus pour ne plus vivre avec ça.
 J'ai rendez-vous pour un casting cet après midi dans le centre de Kyoto.
 L'homme qui me reçoit est grand, brun et répond au nom évocateur de Jet Umy.
 Oui, il est acteur porno mais pas seulement c'est une star de la profession, spécialisé dans l'éjaculation massive.
 En m'invitant à m’asseoir d'un geste de la main désignant le canapé face à son bureau, il me demande tout sourire si c'est pour le "bout" d'essai que je suis ici.
 "Je te propose qu'on commence par une interview, histoire de faire d'une pierre deux coups" dit-il en allumant sa caméra.
 Un petit bip annonce que l'appareil enregistre, il s'installe sur le canapé avec moi, tourne l'objectif vers lui en se regardant dans le petit écran (moniteur) qu'il
 incline pour pouvoir se regarder tout en filmant.
 - "Bonjour à tous, c'est Jet Umy! Aujourd’hui je rencontre une petite nouvelle la belle Fuk Yu, vous allez l'adorer."
 Il braque la caméra sur moi, je fais un petit coucou de la main, gênée.
- Tu peux te présenter ma jolie ?" dit-il en me caressant une mèche de cheveux puis la joue et la lèvre supérieure.
 - "Salut les mecs, je m’appelle Fuk Yu..."
 - "C'est ton vrai prénom ?"
 - "Oui..."
 - "Dis-nous en plus" Il met sa main dans son caleçon.
 - "Je suis de la banlieue de Kyoto, de Kibune"
 - "hum..hum...continue. Et tu as quel âge ? "
 L'intérieur de son jogging se met à bouger, il se branle doucement.
 - "Je viens tout juste de fêter mes 18 ans..."
 - "Tu as eu tes premiers rapports à quel âge ?"
 - "12 ans je crois"
 - "C'est tôt, tu dois vraiment être une petite coquine toi! Qu'est ce que tu préfères dans le sexe ?"
 Il arrête de se branler sa main gauche et descend une des bretelles de mon soutien gorge.
 - "le plaisir de l'autre" fais-je en le fixant droit dans les yeux.
 - "...Intéressant tout ça...Tu peux me dire quelle est ta position préférée ?"
 Il s'est rapproché de moi, maintenant il me palpe la poitrine et se met à lécher un de mes tétons.
 - "Le cheval à bascule."
 - "Pas mal, original en plus!" fait-il la bouche encore pleine de mon sein.
 Il s’arrête puis recule sa tête: "Ce sont des vrais ?"
 - "Oui 100% naturel Monsieur Umy"
 - "Parfait! Maintenant ma chérie, montre nous pourquoi ton nom te va si bien."
 Je le branle entre mes seins, bizarrement il bande mais un peu mou, il a dû enchaîner les tournages aujourd'hui.
 Inquiète de ne pas être engagée pour le rôle, je le suce un peu. Je fais jouer ma langue sur son pénis blanc et veineux comme un rouleau de printemps - il est
 pratiquement aussi large - et ce n'est qu'à ce moment qu'il commence à grandir dans ma bouche.
 Ses mains posées sur ma tête, je peux sentir sa respiration qui s’accélère et la pression exercée sur mon crâne augmenter quand soudain avant même le moindre gémissement, il coupe la caméra. La scène est finie. Pas de pré-éjaculation, rien. Un travail propre, professionnel, consciencieux. Il ne gaspille pas ses cartouches hors tournage. J'essuie ma bouche du revers de la main.
 Après s’être passé de la crème sur le sexe, il me tend un formulaire. "C'est une décharge pour les assurances, trois fois rien tu vas voir. Tu as tes analyses comme je
 t'ai demandé ?"
 "Oui... les voilà." Je sors des documents d'une pochette plastique et le lui donne.
 En remplissant le formulaire, je m’arrête pour lui demander : "Je suis allergique au latex, je dois le mentionner ?"
 Pas inquiété par cette question comme j'aurais pu le craindre il me répond que non car de toute façon ils le sont tous dans le milieu, ils n'aiment pas les
 préservatifs et que pour ma scène ce n'est pas utile, c'est une scène de Bukkake.

 Petite parenthèse historique : Bukkake vient du verbe Bukkakeru qui dans ma langue signifie "éclabousser de l'eau". Cette pratique sexuelle qui consiste en un groupe d'hommes qui encercle et éjacule sur quelqu'un, est une invention de mon cher pays. Notre contribution à l'histoire de la pornographie. Je ne pourrais pas dire avec exactitude par qui et quand il fut inventé, mais je sais qu'il s'est popularisé dans les années 80. Alors qu'à l'époque la censure interdisait aux réalisateurs de montrer les sexes sans qu'ils ne soient floutés, ceux-ci ont dû s'adapter, réinventer la façon de mettre en scène la sexualité dans la pornographie sans violer la loi.

 Je lui rend le formulaire qu'il dépose sur son bureau puis m'oriente d'une main posée sur ma taille vers la loge où la maquilleuse et le coiffeur m'attendent.
 La vieille matrone goudou et le jeune pédé, le couple parfait qui va me transformer pour mon rôle de Geisha. Une autre invention japonaise.

 Pendant que je me fais coiffer puis maquiller, je prend un magazine du National Géographic qui traînait sur une pile de tabloïd. En le feuilletant, je réalise à quel
 point l'homme est proche de l'animal, à quel point il en est un. Toutes ses pirouettes, toutes ses apparences ne cachent pas longtemps sa profonde nature.
 Prenons la maquilleuse avec sa coiffure imposante blonde et son bronzage orangé qui la font ressembler à un chow-chow.
 Et l'éclairagiste aux tempes grisonnantes, les yeux plissés sous ses lunettes lui donnant un air de vieux blaireau.
 Ou le producteur, sa peau grasse rosée par les excès et son nez de cochon le feraient sans aucun doute passer pour l'animal du même nom.
 Un article m'interpelle par son titre : "Coït mortel chez les marsupiaux". L'encart révèle que le processus de reproduction de l'Antéchinus, un marsupial d’Australie, est tellement éprouvant qu'il le conduit bien souvent à la mort en raison d'une très courte période annuelle de fécondité chez les femelles.
 Le docteur en biologie met en cause : "leur taux d'hormones qui atteint des niveaux incontrôlables, ce qui accroît leur stress, leur fait perdre leurs poils, dégrade leur santé et les pousse à se reproduire durant 12 à 14 heures d'affilée avec un grand nombre de femelles. Au bout d'un mois d'orgies communautaires effrénées, leurs testicules ont enflées - jusqu'à quintupler de volume - ainsi épuisés, leur système immunitaire s'effondre et ils meurent. Pas un seul mâle ne survit au suicide collectif." Dans toute cette ménagerie qui m'entoure, il semblerait que moi je sois un Antéchinus.

 Ils sont tous là, les 28 acteurs mâles, à manger en attendant que le tournage commence. Jet Umy, qui s'est joint à eux, avale une bouchée de son sandwich 30 cm de chez Subway. On est ce qu'on mange. J’espère que ça ne va pas trop altérer le goût de son sperme. Dis-moi ce que tu manges, je te dirais quel goût tu as.
 Personnellement je n'ai jamais déguster de sperme. J'ai entendu dire que ça sent l'eau de javel, que sa texture est un peu visqueuse, que c'est un peu chaud et amer en
 bouche. Il paraît que le goût de chaque homme est différent en fonction de son alimentation. Exemple : celui qui mange beaucoup de fruits notamment la prune, la nectarine, l'ananas, la mangue... aura bon goût. Par contre celui qui consomme de l'alcool, de la charcuterie ou encore du chocolat lui... En plus d'avoir mauvais goût, son sperme risque d’être chargé en gluten. Et admettons que vous ayez des allergies au gluten par exemple, une petite gorgée du doux élixir de ce dernier peut se transformer en séance de désensibilisation. Je n'ose même pas imaginer si vous étiez sujette au diabète ou au cholestérol.

 Savez-vous seulement ce que peut représenter une scène de Bukkake en termes de préparation pour une porn-star, à commencer par un check-up chez le dentiste qui passe votre bouche à la loupe, à la recherche de la moindre petite lèvre gercée, gencive irritée. Un simple aphte et vous êtes bonne pour la trithérapie.
 Le business du Porno représente une part de l'économie mondiale énorme. Chaque année, on décerne des prix Nobel à des scientifiques pour leur recherche ou
 leurs découvertes mais le premier qui découvrira la capote buccale sera raillé, ou pire ignoré. Ça me fait toujours sourire quand je vois ces stars de cinéma qui font de l'humanitaire, qui s'érige contre les champs de mines antipersonnel.
 Sida, syphilis, herpès, chlamydia, gonorrhées, hépatites... Il y a des choses contre lesquelles on ne peut même pas se prémunir, imaginer qu'il m'éjacule dans les yeux?! A côté de ce que risque des milliers d’actrices porno chaque jour, les mines antipersonnel c'est un rhume de saison.
 Je suis fin prête, toute vêtue de mon kimono de soie rouge avec son décolleté dans le dos et une large ceinture nouée avec une traîne comme celle d'une mariée, l'habit
 traditionnel Obebe. Mes cheveux sont dissimulés sous cette coiffe, une perruque au chignon divisé en deux, ornée d'une étoffe rouge.
 Quant à mon visage, il est fardé de blanc, les joues légèrement ombrées en rose et seule la lèvre inférieure - pour me donner un air boudeur - teintée d'un rouge encore assorti à ma tenue. Cela fait bizarre de se voir comme ça dans le miroir, je ne me reconnais pas et je pense que c'est le but que recherchaient ces femmes en faisant cela, mon personnage en tout cas.
 Je n'ai pas lu le script, je ne pense pas qu'il y en ait un. C'est Jet Umy qui me donne les directives pour mon rôle en attendant que tout le monde soit prêt.
 Si j'ai bien compris ce film est une sorte de reconstitution historique du premier Bukkake. Dans un Japon féodal, il raconte les aventures torrides d'une jeune mariée qui se travestit en Geisha la nuit. Jusqu'au jour où elle se fait démasquer. Sa famille et son mari, furieux d'être ainsi bafoués, lui font subir un horrible châtiment : à genoux, humiliée, elle est forcée de subir l'éjaculation de tous les villageois. La fiction est parfois étrangement proche de la réalité. A croire que ce rôle a été écrit pour moi, l'histoire de ma vie transposée à quelques détails près.

 Les 28 hommes s'installent tous autour de moi, le sourire aux lèvres, la main à la bite. Fap, fap, fap... En fermant les yeux on croirait être dans une serre aux
 papillons. Habituellement la personne qui est au centre de l'attention de ses messieurs est vêtue d'un uniforme scolaire ou d'une panoplie lunette-chignon-chemisier-tailleur de secrétaire mais le film qui se tourne aujourd’hui est pour le marché occidental, d'où mon déguisement de Geisha. Apparemment la demande et les attentes des pays étrangers envers notre pornographie se limitent au cliché. Comme si toutes nos putes étaient actuellement encore apprêtées comme des geisha.

 5 minutes, tout au plus, c'est ce que cela dure. C'est aussi le temps que mon père et mes frères ont pris pour me violer quand j'avais 12 ans. Comme eux à l'époque, ils n'ont pas eu besoin de se retenir. Ils peuvent aller directement à l'essentiel pas comme avec leurs femmes, si j'en crois les alliances que je vois sur les mains avec lesquelles ils se branlent frénétiquement, rouges d'effort et les yeux révulsés.
 Le premier jet part et vient toucher une de mes joues maquillée de rose, glissant de ma pommette comme une larme spermeuse.
 Si dans nos films avec la tendance lolicon - abréviation pour lolita complex - les actrices surjouent les petites chouineuses collégiennes virginales lorsqu'elles sont recouvertes de foutre. En ce qui me concerne, ce n'est pas une composition dramatique, mes émotions et mon dégoût sont à peine masqués.

 Une éjaculation tombe sur mon sein droit, pendouille un instant dans le vide en restant accrochée sur mon téton, puis coule visqueusement sur mon nombril, se logeant à l'intérieur de celui-ci. Un petit homme bedonnant et chauve avance vers moi en trifouillant sa bite cachée sous son gros ventre. Soudain une petite giclette - le nom et la quantité sont proportionnés à l'engin - est projetée en l'air et atterrit dans ma chevelure. Il s'approche encore de moi pour essuyer son micro-pénis sur mon épaule. Je suis souillée comme le nom de ma famille désormais. Aujourd’hui et pour toujours. Dans ma souffrance, je parviens étrangement à trouver du réconfort. Plus je me sens sale, plus je jubile car demain je n'aurais plus à vivre avec tout ça et il sera trop tard pour eux pour me renier, leur propre sang, leur propre nom.

 Ma peau commence un peu à rougir par endroits, à me démanger sous mon kimono, rendant la sensation encore plus désagréable qu'elle ne l'est déjà. Les autres hommes explosent en tirs groupés comme une pluie de comètes. Souvent hors cadre, un fluffer - l'assistant plateau/branlette chargé de garder les acteurs en érection - vous tend un seau et une serviette éponge entre les prises pour moi ce serait plutôt un infirmier avec un défibrillateur.

 Il n'y a pas de films de bukkake sans une scène de Gokkun. Au même titre qu'il n'y a pas de films porno qui ne commencent ou ne finissent sans fellation.
 Pour le grand final, Jet Umy - jusqu'alors en retrait - éjacule dans une coupe en argent, il y met tout son cœur, disons plutôt son ADN, son épi de maïs dopé aux OGM.
 Dans un silence solennel, il m'apporte son Saint-Graal rempli de sa semence encore chaude, je peux y voir un peu de fumée s'en échapper.
 Tout cela aurait pu être évité si seulement c'était une fake éjaculation, un savant mélange, composé de 3/4 de blanc d'œuf cru et 1/4 de lait concentré sucré, introduit en trompe-l’œil par des tubes transparents mais cela ne fait aucun doute que je l'aurais deviné rien qu'à l'odeur.
 Je porte le verre à mes lèvres et l'avale cul sec. Gokkun, c'est de là que vient son nom, c'est le doux son que l'on émet en avalant le sperme.
 Ça aurait tout gâché si je m'étais étouffé en buvant, maintenant il ne me reste que quelques minutes à vivre.
 Je sens un œdème se former dans ma gorge remontant de mon estomac à mon œsophage, petit à petit ma peau se met à gonfler, ma respiration se fait difficilement, je commence à suffoquer.
 Je suis hautement allergique au sperme, si j'éclatais une capsule de cyanure sous ma dent cela produirait le même effet, aussi bien visuellement que biologiquement.
 On ne verrait pas la différence. Ce tournage est une grande partie de roulette russe auquel je joue toute seule avec un pistolet automatique à 28 coups et au
 chargeur plein.
 Comme disait mon père : "ça fait du mal au début et du bien à la fin." C'est exactement ce que je ressens maintenant.